Le Malawi : « le cœur chaud de l’Afrique »
Comment vous décrire le Malawi ? Un pays méconnu à peine plus grand que le Portugal, encastré entre la Tanzanie au nord et le Mozambique au sud, la Zambie à l’ouest et son lac à l’est. Une terre encore préservée des vagues touristiques venues d’Orient et d’Occident. Une contrée restée à l’état naturel où s’accordent les plantations de thé du sud, les chaînes montagneuses de la Rift Valley et les plages paradisiaques du lac Nyassa. En somme, une région très pauvre et à la fois si riche : pauvre de richesses exploitables et riche d’une nature épargnée.
C’est dans ce cadre que nous nous sommes dirigés vers Nkhata Bay, ville de pêcheurs située sur les berges du lac Nyassa. Nous y trouverons un accueil chaleureux et quelques lodges vides de clients en cette saison : un endroit idéal pour rencontrer des entrepreneurs locaux. Nous croiserons alors le chemin de Gamizani Junior Makwenda (surnommé simplement « Junior »), un jeune garagiste de 26 ans. Il nous accueillera plus tard dans son office : un baobab où est accrochée une pancarte « VG Makwenda, Garage », avec quelques roues et outils dispersés sous les ombrages.
Du statut de « Hors-la-loi » au statut d’ « Entrepreneur »
Je ne vous cache pas que nous avons été surpris de sa réponse à la question « Que faisais-tu avant d’avoir cette affaire ? – Voleur… ». Bon, notre interview commençait de manière originale.
Junior est originaire de Zomba, une ville un peu plus au Sud. Né d’un père ingénieur décédé dès son plus jeune âge (oui, cette image fait cliché, mais les clichés ne sont-ils pas des captures de la réalité ?), il est l’aîné de ses deux frères. A la suite du décès de son père, sa mère déménagea avec ses enfants à Nkhata Bay, ville tirant sa principale richesse de la pêche.
Junior va à l’école dès le primaire, mais l’école a beau avoir ses qualités, elle a aussi un défaut majeur : elle ne paie pas. Junior doit alors voler pour permettre à lui-même et sa famille de vivre de manière décente. Très vite, il progresse dans cette profession et devient le chef d’un groupe dépouillant les pêcheurs à leur retour sur les berges. Mais hors-la-loi n’est pas un métier sans risques, Junior se fait arrêter à 17 ans puis jeter sans appel en prison.
Pour combien de temps ? Il ne sait pas. Entre un an et un an et demi, ici les prisons n’ont ni calendrier ni horloge, seuls les jours d’entrée et de sortie vous restent en mémoire. Le paradoxe de Junior est qu’il volait pour aider et soutenir sa famille mais une fois en prison, on ne peut aider personne. Cette prison fut alors son déclic : s’il voulait durablement faire vivre sa famille, il devait faire différemment. Il repensa alors à son rêve d’enfant, suivre la voie de son père et avoir une affaire à son nom, en toute légalité.
« Be your own boss »
Seulement, avec ses tatouages sur les bras (l’Afrique est une vieille école : les ex-bagnards y sont tatoués), trouver l’argent pour démarrer sa propre entreprise s’avère compliqué. Certes, Junior a un peu d’argent de côté grâce à ses anciens délits mais cela n’est pas suffisant. C’est alors qu’il revoit un de ses anciens amis, Zian Kennedy, artiste attitré de Nkhata Bay à qui il raconte son désir d’une nouvelle vie : légale, cette fois. La vie étant justement ce qu’elle est bien souvent, c’est-à-dire un concours de circonstances, Zian lui propose alors de lui prêter l’argent nécessaire pour se lancer.
Nous sommes en 2005 et ce sont les débuts du « VG Makwenda, Garage », sous son baobab. Zian devient même son premier client et n’hésite pas à faire du bouche à oreille au sein de son entourage. Mais leurs relations « professionnelles » s’arrêtent ici : un peu d’argent et un peu de publicité. Jamais Zian ne viendra réclamer des comptes ou surveiller l’affaire de Junior, qui restera alors son propre patron.
Mais un garage réclame beaucoup d’outils, de pièces et de matériaux pour fonctionner. Junior fait alors jouer son ancien réseau souterrain et contacte des fournisseurs au Malawi ainsi qu’en Afrique du Sud. Il profite alors de tarifs privilégiés, surtout pour les roues, le cœur de son affaire. Il fait ensuite jouer son appartenance à la Tribu des Tonga dont les membres viendront dorénavant réparer leurs voitures dans son garage. Challenge réussi : Gamizani Junior Makwenda a une affaire qui marche et ce, comme il l’avait rêvé : en toute légalité.
Des projets plein la tête
Sept ans déjà et l’entreprise se porte bien. Aujourd’hui Junior a trois employés dont ses deux frères cadets qui partageaient son rêve d’ingénierie. Junior est marié et a deux enfants, un garçon et une fille à qui il apprend à lire et à écrire sur des livres de mécanique. On ne sait jamais, peut-être que plus tard l’un d’entre eux voudra reprendre la suite. L’entreprise a porté ses fruits, Junior permet à sa famille de vivre convenablement et même davantage.
Mais ce n’est pas fini, Junior a encore beaucoup de projets de développement. Dans 5 ans ? Un garage couvert cette fois et peut-être un deuxième garage un peu plus loin. Dans 20 ans ? Une grosse voiture et une belle maison pour ses vieux jours. En attendant, Junior et ses frères travaillent dur tous les jours en dépit de la concurrence (trois garages côte à côte, comme souvent en Afrique) a propos desquels il nous dira : « Compare le nombre de voitures. Une, deux, trois. Tu vois ? C’est moi le meilleur ici ! »
Son plus gros challenge : trouver l’argent à sa sortie de prison
Ses conseils pour de futurs entrepreneurs :
– « Work hard and keep the mind » : travailler sans relâche et rester concentrer
– « SAVE THE MONEY » : épargner l’argent gagné
– « Be your own boss » : être son propre chef