Social comunity economics

Un pays divisé en deux mondes

L’Argentine fait partie de ces pays dont l’immensité peut poser problème que ce soit au niveau culturel, social mais également économique. Parcourir ce pays à la recherche d’entrepreneurs par nécessité a pour nous été difficile et nous a contraint à supprimer un pays de notre étude : Le Chili. Les distances y sont démesurées et les modes de vie varient du tout au tout selon les régions. Que vous alliez dans les régions patagoniques du sud ou bien dans les montagnes au nord, vous trouverez deux populations, deux cultures, deux mondes. Si nous pouvions le résumer ainsi il y aurait le monde andin rustique et un autre du type occidental n’ayant rien à envier à l’Europe.

Iruya

Au vue de nos objectifs et du fil directeur de notre étude, les rencontres entrepreneuriales faites dans les montagnes andines ont été plus « riches » qu’en Patagonie du Sud. Voyager dans le monde andin argentin est une chance car il est d’une part beaucoup moins touristique et il y subsiste, d’autre part, un mode de vie communautaire préservé malgré les années. Nous avons ainsi traversé des petits villages perdus entre deux montagnes sans connexion avec le reste du monde (c’est-à-dire sans internet ou télévision) perchés à quelques milliers de mètres d’altitude. C’est dans un des ces villages, à Iruya très précisément, que nous avons rencontré Clarisa Zerpa, gérante d’un magasin d’artisanat local et fervente défenseure du modèle andin.

 

Une jeune diplômée sans emploi

Clarisa est originaire du monde andin argentin mais c’est au Chili qu’elle part faire des études de communication. Mais comme cela peut parfois arriver, un marché du travail saturé ne permet pas toujours de trouver un emploi à un jeune fraîchement diplômé. Elle retourne donc chez elle, dans son village où elle se voit dans l’obligation de « generar su actividad », générer sa propre activité. Douée dans le domaine de la communication et sensible dès son plus jeune âge à l’artisanat local, elle décide donc d’ouvrir sa propre boutique afin de promouvoir l’artisanat des communautés voisines.

Clarisa

« L’argent est le nerf de la guerre » et Clarisa ne dispose d’aucun capital afin de réaliser son projet. Pire, elle ne voit aucune personne, banque ou institution qui pourrait l’aider dans cette voie. Elle décide donc de gagner elle-même ce capital en faisant jouer son sourire et ses talents culinaires en ouvrant une petite cantine sur rue pour les habitants et les quelques touristes de passage. Avec ses quelques sous elle achète un peu de café et un peu de nourriture puis elle fait le tour de sa famille, ses amis et ses voisins pour se procurer tout le matériel nécessaire. Tout lui sera prêté par ce réseau informel : tables, chaises, couverts, verres, cantine, etc. Elle ouvre ainsi son petit restaurant sans prétention et fait jouer ses compétences en communication en vue de fidéliser ses clients. En échange du support de ses proches, Clarisa consacre une partie de ses revenus afin d’aider des amis qui souhaitent se lancer dans le tourisme et qui ont besoin pour cela d’un local : c’est la cantine de Clarisa qui financera une partie du loyer des premiers mois. Le temps passant, la jeune diplômée en communication épargne suffisamment d’argent et ouvre sa boutique d’artisanat.

 

Des débuts difficiles

Après avoir trouvé le lieu idéal pour son magasin, Clarisa fait le tour de ses connaissances dans les villages voisins pour se fournir en artisanat andin. Mais le premier mois de son affaire est catastrophique : aucune vente à l’horizon. Il faut dire que l’artisanat andin est sensiblement identique dans tout le monde andin et les voyageurs de passage sont souvent déjà surchargés de ces bracelets, affaires en alpaga ou décorations. Moment difficile mais Clarisa ne perd pour autant pas espoir et décide de revoir sur ce que le Management Stratégique appelle « la création de valeur », et ce qu’elle appellera « son objectif ».

 

Pourquoi voulait-elle se lancer dans cette activité ? Que voulait-elle partager à travers cette entreprise ? Telles seront les questions sur lesquelles reviendra la jeune femme.

 

Cette activité dans son imaginaire n’était pas juste un moyen de subvenir à ses besoins mais aussi un moyen de partager les richesses culturelles de sa région aux gens de passages. La clé de son projet n’est donc pas d’offrir ce qu’offre tout le monde andin, mais d’offrir ce que sa communauté a d’unique. Elle se diversifie alors et se fournit en sucreries, fruits confits, fibres végétales ou encore objets en céramique que les cinq communautés voisines de la sienne ont de particulier. Elle s’attache également à offrir plus qu’un simple service de B to C et essaie d’expliquer et de sensibiliser ses visiteurs aux richesses communautaires qui entourent son village. Elle n’hésite plus à envoyer les touristes dans les villages voisins dans d’autres boutiques ou lors des différentes festivités. C’est alors le début du succès pour Clarisa.

 

Une économie de subsistance ? Non.

Cela peut sembler étrange d’entendre dire qu’un jeune entrepreneur envoie ses clients chez la concurrence et pourtant, ce comportement est fréquent chez les entrepreneurs que nous rencontrons. Le modèle de subsistance semble inhiber toute agressivité concurrentiel : l’important est de subvenir à ses besoins de manière durable et non de connaître un quelconque succès financier sur autrui. En nous parlant du système économique dans lequel son entreprise évolue, Clarisa évoqua d’elle-même le terme spécifique « d’économie de subsistance » avec lequel elle n’est d’ailleurs pas d’accord. Elle préfère parler « d’un mode de vie » où les individus restent solidaires des uns des autres, comme en témoignent ses débuts en tant qu’entrepreneur, et ne cherchent pas à avoir plus que nécessaire. Dans son monde, nous dit-elle, les communautés s’échangent les surplus afin de permettre à tout un chacun de subvenir à ses besoins et c’est seulement ensuite qu’ils vendent « au monde extérieur » ce qui ne leur est plus indispensable.

Une économie de subsistance : non.  Une économie sociale communautaire : oui, selon Clarisa. On ne cherche pas à faire du profit, à devenir millionnaire mais à faire partager ses richesses, à être heureux et avoir ce dont on a besoin tout en prenant soin du voisin. Dans cette micro-sphère, tous sont liés les uns les autres et si « un corps » est « malade », l’ensemble de la communauté fera en sorte de soigner cette partie de l’organisme. On apprend ainsi aux enfants, nous raconte-elle, à être indépendants dès leur plus jeune âge, à faire leur chemin dans la communauté afin qu’ils voient par eux-mêmes où ils peuvent être utiles avant de partir faire des études dans les grandes villes. Certains reviendront, comme Clarisa, par eux-mêmes ou par un concours de circonstances, afin de faire profiter à leur communauté de leurs acquis nouveaux et ainsi contribuer au bien-être général.

Boutique

 

Son plus gros challenge : surmonter ses premiers échecs et recentrer sa création de valeur.

Ses conseils pour de futurs entrepreneurs :

  • « poner su objectivo » : avoir un objectif clair et personnel auquel on doit toujours s’attacher, se demander en permanence si son projet est en accord avec cet objectif.
  • « cuidar la communidad » : prendre soin de sa communauté et contribuer à son bien-être.