Le pays « au pied des montagnes »
Enclavé entre deux géants économiques que sont la Chine et l’Inde, nous connaissons le Népal avant tout pour sa situation géographique. Ce pays est en effet spécial pour de nombreuses personnes parce qu’il abrite l’Himalaya, soit les plus hautes montagnes au monde avec, entre autre, le mont Everest qui culmine à plus de 8800 mètres d’altitude. Mais en réalité le Népal a bien d’autres atouts naturels à découvrir tels que le parc du Chitwan, les plaines du Tenaï ou encore la vallée de Katmandou.
Ce n’est qu’en 1951 que ce pays s’ouvrit aux étrangers attirant ainsi quelques visiteurs curieux venus principalement de l’Occident. Au cours des années cinquante, on dénombrait en moyenne 5000 visiteurs étrangers chaque année. Le Népal étant historiquement l’un des pays les plus pauvres au monde, les habitants ainsi que les autorités locales comprirent très vite que les revenus dégagés grâce à ces quelques touristes pionniers étaient une source de richesse sans précédent ! C’est dans cette logique que fut voté en 1961 le Industrial Enterprises Act afin d’exempter d’impôt toute entreprise souhaitant se lancer dans l’industrie touristique. En quelques années, le nombre de visiteurs étrangers décupla et s’ils étaient encore 5000 à venir tous les ans dans ce pays en 1961, aujourd’hui ils ne sont pas moins de 300 000.
Cela est-il une bonne chose pour le Népal ? Aujourd’hui peut-être, mais demain sûrement pas. En effet, toutes les industries agricoles et industrielles sont abandonnées au fil du temps au profit de l’industrie touristique, tendance qui conduira à terme ce pays à importer de plus en plus de matières primaires alors qu’il n’en a déjà pas les moyens. Pire encore, comme le craignent beaucoup d’entrepreneurs que nous avons rencontré, le Népal pourrait souffrir d’une nouvelle guerre civile comme celle de 1996-2006 et donc stopper net sa principale source de revenue ce qui achèverait économiquement le pays. C’est dans ce climat d’incertitudes que nous avons rencontré les frères Devkota, d’abord à Pokhara (seconde ville du pays), puis à Katmandou, fondateurs du projet Nepalese Women Handicrafts.
Le désir de rendre indépendant
Bijaya et Shyam Devkota sont deux frères originaires d’un village proche de Pokhara, la seconde ville du pays mais aussi l’une des destinations touristiques les plus prisées du Népal grâce à son lac Phewa et sa proximité avec la chaîne de montagnes Anapurna. Ayant grandi au milieu des villages bordant cette grande ville qu’est Pokhara, ces deux frères s’indignèrent contre la dépendance des femmes restées au village vis-à-vis de leur conjoint parti travailler en ville. Ces femmes ne pouvaient en effet subvenir à leurs besoins que grâce aux revenus de leur mari ce qui contrariait grandement leur pouvoir de décision dans le cercle familial. Elles se limitaient alors aux simples travaux ménagers, s’occupaient des enfants et peut-être du potager. Une situation inadmissible pour Bijaya et Shyam Devkota surtout dans un pays où le salaire moyen est de deux dollars par jour : on ne peut se permettre d’avoir qu’une seule source de revenue quand on peut en avoir deux.
Voilà qu’un jour, constatant l’attrait des touristes étrangers pour les produits manufacturés népalais, ces deux frères comprirent qu’ils pourraient subvenir à leurs besoins tout en luttant contre cette dépendance des femmes envers leur conjoint. Ayant quelques connaissances dans le tissage, Bijaya et Shyam Devkota entreprirent le pari suivant : enseigner aux femmes des villages voisins le tissage et la coloration de sacs et de vêtements, puis les réunirent dans un même lieu avec tout le matériel adéquat et les employer afin de fabriquer des produits locaux. Ils ne restaient plus qu’aux frères Devkota le dilemme des fournisseurs des matières premières nécessaires à leur production. Dans un soucis d’économie sociale et solidaire, ils choisirent de promouvoir les marchés locaux au détriment des grandes compagnies étrangères. Le seul élément étranger dans leurs produits serait le « zipper » venu tout droit du Japon car de meilleure qualité que leur voisin chinois. C’est ainsi qu’en 2011, avec l’aide des autorités locales de Pokhara, Bijaya et Shyam créèrent Nepalese Women Handicrafts avec leur cinq premières « employées ».
Faire du Social Business
Au départ les moyens de Bijaya et Shyam Devkota sont limités : ils ne disposent juste que d’un local dans une petite rue du centre ville et d’un peu de matériel. Ils font alors le tour des villages voisins afin de promouvoir leur projet auprès des femmes. Ils proposent de les former puis de leur fournir les matériaux nécessaires ainsi qu’un modèle de sac ou vêtement à suivre (réalisé par un professionnel). Pas besoin de venir travailler en ville ! Si elles le désirent, elles peuvent travailler de chez elles et livrer leurs produits plus tard au magasin. Le marché est le suivant : pour chaque produit réalisé la personne touche une somme fixée à l’avance puis, une fois le produit vendu, elle touchera une commission sur la vente. Ainsi par exemple, pour chaque sac vendu 1000 rupee en magasin, la personne à l’origine du sac touche 70 rupee pour sa production puis 5% du prix de vente (soit 50 rupee).
Ce business model est un franc succès ! De nombreuses femmes se joignent aux frères Devkota et les produits s’avèrent être d’une grande précision ce qui n’est pas pour déplaire aux nombreux touristes venus à Pokhara. Quelques mois plus tard, ils décident d’ouvrir un second magasin à Katmandou en plein milieu du quartier très touristique de Thamel. Shyam s’occupera désormais du magasin de Pokhara ainsi que de la production tandis que Bijaya gérera le magasin de Katmandou. Aujourd’hui, Nepalese Women Handicrafts est une affaire qui roule et permet à pas moins de 45 femmes de subvenir à leurs besoins contre 5 à l’origine. Mais ces deux frères ne comptent pas s’arrêter là ! En effet ce projet n’emploie aujourd’hui que des femmes issues des villages aux alentours de Pokhara, mais il y a bien d’autres villages au Népal qui pourrait bénéficier de ce business model. Ainsi, les frères Devkota espèrent très prochainement s’étendre dans d’autres régions où ils pourraient faire travailler ces femmes et peut-être même commencer à exporter leurs produits comme ils comptent le faire prochainement en Hollande !
Son plus gros challenge : faire de ce projet un projet transférable.
Ses conseils pour de futurs entrepreneurs :
– « to be independant » : ne pas être dépendant financièrement de quelqu’un que ce soit dans la vie de tous les jours que dans une entreprise.
– « one price for everybody » : ne pas augmenter ses prix spécialement pour une certaine clientèle en raison de leurs origines.
– « don’t ignore women in business » : ne pas négliger les femmes dans l’entreprise, elles sont souvent plus actives et méticuleuses que les hommes dans leur travail.